Redécoupage des régions: quelles perspectives pour les Marchois-es?
La presse nationale a relaté les vagues créées en Corrèze avec le projet de création d’une nouvelle Région qui réunirait Centre, Limousin et Poitou-Charente. Dans Aujourd’hui en France/Le Parisien du 7 juin 2014 sous le titre « Guerre de sécession », on apprend que le maire de Tulle « plaide pour un démembrement de la région [Limousin – NDLA] et un rattachement de la Corrèze à l’Aquitaine ». Même réaction pour le maire de Brive qui « estime lui aussi qu’il doit entrer en sécession et rejoindre le Lot ou la Dordogne ». Du fait de ces pressions est apparue une nouvelle option, celle du rattachement du Limousin à l’Aquitaine…
Le constat de différences profondes au sein de la Région Limousin n’est pas nouveau. Le journal La Montagne du 30 octobre 2009 publiait une chronique sous le titre « Chat…Minadour s’identifie ». Celle-ci s’interrogeait sur l’identité limousine : « Existe-t-elle ? Le débat sur la LGV [Ligne à Grande Vitesse – NDLA] démontre le contraire, des élus régionaux y affirmant au grand jour que le Conseil général est au service de la seule ville de Limoges. Il y a la Corrèze, aussi, qui fait son aéroport à elle, contre Bellegarde. Et entre les deux, la Creuse, qui a les moyens de rien et est en banlieue de tout ».
C’est bien là le drame marchois : la Haute Vienne limousine a connu un rayonnement avec Limoges, la Corrèze a donné deux Présidents de la République tandis que la Marche est restée le parent pauvre de la Région au sein de laquelle son identité a été quasiment gommée.
Pour les Marchois(es), intégrer une Région Centre-Ouest serait incongru ?
- Dans la Vienne, Charroux a été la première capitale de la Marche et à Gençay le Centre culturel s'appelle La Marchoise.
- Dans l'Indre, à Mouhet, le concours de chanson française « belle et rebelle » a lieu dans le cadre du Festiv [1] en Marche [1]. Début juin, la finale intitulée "Chansons de paroles" regroupe des chanteurs et chanteuses qui viennent justement des régions Centre, Poitou-Charente et Limousin.
- Parmi les lignées de comtes de la Marche figure la branche des Bourbons ce qui explique que le blason de la Marche soit présent dans différents édifices situés en pays d'oïl (à noter qu'il n'y en a aucun dans le pays Limousin) :
Autonome pendant près de 1 000 ans, la Marche possède un blason qui reprend celui du Bourbonnais auquel on a ajouté trois lions, héritage de la famille des Lusignan qui dirigea elle aussi le comté.
La Marche - La partie hachurée autour de Charroux, première capitale de la Marche, recouvre une partie initiale du territoire marchois qui a ensuite été intégrée au Poitou. |
[2] Extraits d’une Histoire de la Marche, préparée entre 1650 et 1658 par Pierre Robert du Dorat, in Mémoires de la Société des sciences de la Creuse, 1891-92
[3] La commune de Combraille était un ancien chef-lieu de la Creuse. Supprimée en 1834, son territoire fut réuni à celui de Viersat (nord-est du département)
La Coordination Occitane du Limousin estime en juin 2014 que si la région Limousin devait être rattachée au Centre-Ouest, elle « sera[it] désormais arrachée à l’ensemble occitan qui contribuait fortement à lui conférer son unité et son identité culturelle [4]». Cette vision uniforme de la région fait fi à la fois de 1.000 ans d’Histoire (la Marche a été autonome du Limousin jusqu’au projet de création des Régions dans les années 1950) mais aussi d’une réalité linguistique spécifique avec la nature du Croissant marchois et de sa langue. Intégrer une grande région Aquitaine serait la nouvelle donne pour la région Limousin entraînant de fait avec elle la Marche mais avec quelle cohérence pour cette dernière ?
● En Haute Vienne, les Monts de Blond délimitent à la fois deux zones linguistiques (le marchois au nord et l’occitan limousin au sud) mais aussi deux pays historiquement différents (au nord la Basse Marche et au sud le Haut Limousin).
Au sujet de ces monts, Jean Varlet, professeur de géographie à l'université de Clermont-Ferrand, constate que « côté sud, un versant limousin, à l’occupation humainetrès ancienne (…) en dégradé du sud vers le nord, estdavantage tourné vers le midi aquitain (langues d’oc,habitat, toits, emprise politique des vicomtes deToulouse) ; c’est une marge aquitaine (…) ». La volonté limousine de se tourner vers l’Aquitaine pourrait donc être justifiée mais qu’en est-il pour la Marche ?
J. Varlet décrit « côté nord, un versant marchois (…) soumis à l’emprise parisienne dès le Moyen Age :développement d’un semi-bocage complémentaire de l’openfield du Bassin parisien central avec entrée simultanée dans la couronne d’élevage semi-extensif duBassin parisien; francisation plus précoce qu’au sud, attraction directe actuelle. C’est une marge parisienne [5]».
● Au début du XXe siècle, l’historien Désiré Brelingard constatait que la Creuse est « ouverte vers le nord, résolument campagnarde ». Par contre, plus au sud, laCorrèze est elle « fertile en ministres, regardant vers le Midi » et Brive est décrite comme étant le « portail vivant du midi [6]».
L’attraction vers le sud et l’Aquitaine pourrait sans doute être retenue pour le Limousin linguistique et historique, elle ne l’est pas pour la Marche.
Ce constat n’est pas nouveau et on pouvait lire dans le journal La Montagne du 23 août 2011 que « (…) la Marche et le Berry appartiennent à l’aire culturelle Centre-France [7]». Guy Chambon, professeur de sciences économiques à Limoges, rappelle que l’arrondissement de Bellac (Basse Marche) demeure majoritairement tourné vers le nord et vers les départements de l’Indre, de la Vienne et de la Creuse [8] Michel Aubrun [9], historien, spécialiste de l'histoire des paroisses et du monde paysan, rédige l’avant-propos d’une étude de Guylaine Brun-Tigaud consacrée à Lourdoueix-Saint-Michel (Indre). Ce spécialiste explique que pour cette paroisse intégrée à la Marche « (…) l’attirance vers le nord n’a jamais manqué (…) ».
Tournons-nous maintenant vers le Docteur Hans Goebl qui est professeur à l’Université de Salzburg en Autriche où il exerce la fonction de directeur du Laboratoire de recherche de dialectrométrie, science qui appréhende de manière statistique les propriétés et l’unité des dialectes. Il publie en 2003 une étude des données del'Atlas linguistique de la France quimontre très nettement que Dun-le-Palestel dans la Creuse « dispose d’un profil d’identité franchement oïlique ». Il en va différemment à Seilhac en Corrèze qui « est tiraillé entre le nord et le sud avec une certaine prépondérance vers le sud » tandis que Villefranche-de-Belvès en Dordogne « revêt une allure occitane à tous les égards [10]». L’analyse des relevés de l’Atlas linguistique de la France publiés en 1906 met donc en évidence que le Limousin historique et linguistique tend vers le Sud et que le Périgord y est totalement immergé. En ce qui concerne la Marche (Dun est en zone linguistique marchoise), elle penche à l’évidence vers le Nord.
[4] http://plataforma.canalblog.com/archives/2014/06/05/30017794.html
[5] Jean Varlet, structures et dynamiques de l’espace limousin, Mappemonde, 1996
[6] Histoire du Limousin et de la Marche, 1950
[7] Article : La Marche et le Berry ressortent leurs vieilles histoires
[8] Guy Chambon, Economie in Haute Vienne, Bonneton, 1997
[9] Il fut professeur au lycée de Guéret avant de rejoindre l'Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand
[10] Hans Goebl, Regards dialectométriques sur les données de l'Atlas linguistique de la France (ALF), 2003
La question de la place de la Marche dans la Région Limousin a toujours interrogé tant les deux entités possèdent une identité propre : « Depuis 1960, le département de la Creuse fait partie de la région Limousin (bien que ce territoire fût historiquement situé dans la Marche) » fait remarquer Michel Allard [11], professeur au Département de géographie de l’Université de Laval au Canada. Jean-Charles Varennes précise que le comté de la Marche « évoluera à part de la Vienne moyenne et de la Corrèze auxquelles sera réservé le nom de Limousin ; un seul lien subsistera : l’appartenance au diocèse de Limoges [12] Robert Chanaud, alors directeur des Archives départementales de la Haute Vienne, confirmait cette analyse : « (…) passé le Moyen Age et avant 1956, il n’est pas correct de parler de Limousin pour désigner autre chose qu’une aire correspondant à la Corrèze et à une grosse moitié sud de la Haute Vienne, non compris les alentours de Rochechouart [13]». David Glomot est docteur en Histoire médiévale à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Limoges. Il explique en 2010 [14] que la Marche n’est pas la plus connue des provinces de l’Ancien régime et que les historiens qui ont peu traité son cas l’ont souvent assimilée par défaut au Bourbonnais (cf. René Germain en 1984 et 1999), au Poitou (Louis Merle, 1958), au Berry (Françoise Michaud-Fréjaville en 1997) ou bien encore au Limousin (Jean Tricard en 1996). |
[11] Portail http://www.geonymo.net/
[12] Jean-Charles Varennes, Les grandes heures de la Haute Marche, Librairie académique Perrin, 1983
[13] Jusqu'à la Révolution, Rochechouart dépendait du Poitou
[14] David Glomot, Le traitement des terriers médiévaux de Haute-Marche à l’aide de SIG, Géocarrefour, Vol. 85/1, 2010, http://geocarrefour.revues.org/index7680.html
● Ambroise Tardieu, archéologue et généalogiste, explique en 1894 dans son Grand dictionnaire historique, généalogique et biographique de la Haute Marche que les Etats généraux de Langue d'oïl étaient établis à Bourges et que la Marche y
participait.
● Christophe Jamain écrit au sujet des comtes de la Marche qu' « ils vont peu à peu se tailler aux dépens des seigneuries voisines un comté sur lequel ils exercent dès le Xème siècle des prérogatives de puissance publique. A partir de cette période, l'unité limousine va être rompue et la Marche va désormais évoluer indépendamment du reste du Limousin ». Devenue totalement autonome au neuvième siècle, elle le restera pendant près de 1000 ans avant d'être démantelée en 1790 lors de la création des départements. « Une autre division féodale subsistait au XVIIIe siècle, la seule à correspondre très exactement à la province de la Marche; il s'agit du gouvernement de Haute et Basse Marche. (...) La Haute et Basse Marche avaient formé à elles seules un gouvernement peu après la réunion du comté à la couronne [1531 - NDLA], et ce ressort, correspondant à la province, restera intact jusqu'en
1789 (...) [15]».
● Il n'y a pas eu de troubadours marchois mais, tout au contraire, on recense officiellement un trouvère, Hugues de Lusignan, comte de la Marche, « qui a laissé trois pièces lyriques en langue d'oïl », deux chansons d'amour et une pastourelle, comme l'explique Amédée Carriat dans son Dictionnaire bio-bibliographique des auteurs du pays creusois. Pour cet ancien président de la Société des Sciences de la Creuse, il n'existe aucune preuve historique que le troubadour Joan d'Aubusson appartienne à la famille du Vicomte d'Aubusson ni même que château d'Aubusson ait été le lieu de rendez-vous de troubadours limousins.
● Bernadette Barrière, qui fut professeur d'histoire médiévale à l'Université de Limoges, relate que « dès le Xe siècle, les comtes de la Marche sont présents et ont pris position en un certain nombre de lieux stratégiques, qui ont comme trait commun d'être placés sur des tracés routiers anciens demeurés importants : c'est Charroux, considérable carrefour, où ils se sont dotés d'une forteresse à proximité de l'abbaye qui les a précédés et dont ils profitent ; c'est l'éperon de Bellac qu'ils ont équipé d'un château faisant face au sud et aux "Limousins" (...) [16]».
● En 1950, Désiré Brelingard, dans son Histoire du Limousin et de la Marche, explique qu'au XIVe siècle, si beaucoup de seigneurs limousins rechignent à soutenir le roi de France Philippe VI, il en va différemment en pays marchois : « seule la Marche apparaît décidée. L'influence française s'y affirmait déjà ».
La généralité de Limoges est établie en 1586, elle englobe l'Angoumois et la Saintonge : « le divorce ancien s'en accentuera entre la Haute Marche, rattachée à la généralité de Moulins, et le reste du pays [limousin – NDLA] ». Toujours au XVIe siècle, « pour la gabelle, le Limousin est un pays rédimé, la Marche est un pays de grande gabelle (...), au point de vue militaire, deux gouvernements : celui de la Haute Marche (Guéret), celui du Limousin (Limoges) ».
[15] Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000
[16] Bernadette Barrière, Limousin médiéval, le temps des créations, PULIM, 2006
● Marie-Annie Moulin, dans sa thèse de troisième cycle (Doctorat), écrit que « La sénéchaussée de Guéret correspond à la Haute Marche et se régit par la coutume de la Marche, sauf Bellegarde qui relève de la coutume d’Auvergne. Dans les autres paroisses, selon les lieux, les justiciables peuvent être sujet à la coutume de la Marche, d’Auvergne, du Berry ou du Poitou [17]». Au sud de la Marche se trouvaient les pays qui suivaient des pratiques inspirées du droit romain (jus scriptum), le droit écrit. Au nord, se trouvaient ceux qui appliquaient comme elle les Coutumes (droit sous forme orale) formées au cours du Haut Moyen Age et vraisemblablement héritées des royaumes germaniques, tous dotés d’un droit exclusivement coutumier. Christophe Jamain résume parfaitement la situation : « alors que Limoges et Brive, pays de droit écrit, dépendent en appel du parlement de Bordeaux, Guéret et Chénérailles relèvent de celui de Paris rassemblant les provinces soumises à un droit coutumier [18]».
● Emile Ruben, qui fut conservateur de la bibliothèque de Limoges et secrétaire général de la société d'archéologie de Limoges, écrivait déjà dans son Étude sur le patois limousin en 1866 que « d’anciennes coutumes de provinces au sud de la Loire sont écrites en dialectes du Nord, et je ne puis admettre que primitivement les deux Charentes, la Creuse, le Cher, l’Indre, l’Indre-et-Loire, etc., aient été occitaniens ».
● Armand Désiré de la Fontenelle de la Vaudoré, conseiller à la cour royale de Poitiers, a publié en 1843 Les Coutumes de Charroux dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest. Celles accordées par Hugues de Lusignan, comte de la Marche, datent de 1247. Pour l’auteur, « il faut surtout remarquer que cette seconde coutume est en langue vulgaire, c’est-à-dire dans l’idiome qui était alors parlé dans le pays et qui est un mélange de la langue d’oc et de la langue d’oïl ». Evoquant cette seconde charte de Charroux, le Limousin Emile Ruben écrit pour sa part que « ce document, présumé de 1247, quoique contenant un certain nombre d’inflexions romano-provençales, a en général la physionomie française ».
● L’élection de la Marche, fixée à Guéret dès 1357, dépendit de la généralité [19] de Bourges à partir de 1456.
● Louis Duval, alors archiviste du département de la Creuse, aborde la question des étudiants du XVIe siècle. Il écrit que « ceux de la Marche suivaient les cours de l’Université de Bourges ». Cela nous est confirmé avec le Marchois Pierre Robert, lieutenant du roi en 1580 au siège du Dorat (Basse Marche) qui put « aller aux escolles en l’université de Bourges».
● De 1470 jusqu'à la Révolution de 1789, la province était sous la juridiction du Parlement de Paris. « Les justices dites du Haut et du Bas Limousin laissent de côté l’essentiel de la Creuse, le nord de la Haute Vienne et la région de Rochechouart. Enfin le droit coutumier renforce encore l’appartenance poitevine de Rochechouart et l’autonomie de la Marche. Décidément, cette dernière ne peut pas être qualifiée sans abus de limousine, puisque tout concourt à la doter d’une individualité propre (...) [20]».
[17] Marie-Annie Moulin, Les Maçons de la Haute Marche au XVIIIe siècle, IEMC, 1996
[18] Christophe Jamain, Le département de la Creuse, ses origines et sa pérennité, PULIM, 2000
[19] Généralité : circonscription financière gérée par un intendant durant l'Ancien Régime
[20] Robert Chanaud, Le Limousin, pays et identités, PULIM, 2006
● Robert Chanaud écrit en 2006 au sujet de la Marche sous l’Ancien Régime qu’ « il y a un seul diocèse (de Limoges et non du Limousin). Mais il y a une province du Limousin et une province de la Marche, un gouvernement du Limousin et un gouvernement de la Marche. La Haute Marche, rattachée à la généralité de Moulins, échappe à celle de Limoges ».
● A la fin du XVIIe siècle explique Christophe Jamain, « non contente d’avoir réussi, au gré des dernières réformes, à bénéficier d’une expérience administrative propre, la Marche va dès lors chercher à affirmer son unité, voire son autonomie par le biais de la revendication d’états provinciaux. Celle-ci persistera même lors de l’enthousiasme collectif des cahiers de doléances et des élections aux états généraux ». Basse et Haute Marche « (...) avaient formé à elles seules un gouvernement peu après la réunion du comté à la couronne [1531], et ce ressort, correspondant à la province, restera intact jusqu’en 1789 (...) ». L’Assemblée de la Haute Marche « réunie le 20 octobre 1788 à Guéret, eut un grand retentissement.
Elle revendiqua fermement la création d’Etats provinciaux réservés à la Marche et provoqua de l’agitation dans toute la contrée ». L’auteur précise qu’ « il serait aventureux d’y voir le désir de réaliser l’unité du Limousin » puisque, pour la Haute Marche, « son grand dessein est de constituer une réunion indépendante avec la Basse Marche ».
● La création de la Creuse après la Révolution de 1789 a fait l’objet de nombreuses tractations et a entraîné l’amputation de la Marche à savoir sa partie ouest (la Basse Marche). La commune du Donzeil [21], au sud de la Creuse, le souligne : « ce département est né officiellement le 22 janvier 1790. L’identité marchoise n'est pas respectée puisque le nouveau département correspond pour les deux-tiers seulement au Comté de la Marche, excluant la Basse Marche (pays du Dorat). »
● Jean-Charles Varennes (1915-1995) est originaire de l’Allier et il fut enseignant à Montluçon. Il écrit en 1983 dans son ouvrage Les grandes heures de la Haute Marche qu’ « on comprend pourquoi, parmi les nombreuses limites de territoires, ce "pays" fut le seul à garder le nom de "Marche", parvenant à protéger son identité, à se dégager et se distinguer du Limousin (...) ».● L’exemple de la migration saisonnière confirme la différence entre Marchois et Limousins. La carte fournie par le site Les maçons de la Creuse [22] met en évidence que c’est de la Haute et Basse Marche que part le plus grand nombre d’ouvriers migrants. Au milieu du XIXe siècle, il y a 5 fois plus de migrants en Creuse (Haute Marche) qu’en Corrèze (Limousin) et en ce qui concerne la Haute Vienne, c’est la Basse Marche qui fournit le plus grand contingent d’ouvriers. La migration erronément qualifiée de « limousine » a en fait été
essentiellement marchoise et c’est surtout Paris et sa banlieue qu’elle va rejoindre.
Un maçon creusois raconte, sous le pseudonyme du Solitaire, qu’il fallait dix jours de marche pour atteindre la capitale. Martin Nadaud raconte lui le rythme effréné du voyage vers Paris avec 60 km quotidiens. Parti de Bourganeuf, il chemine avec ses compagnons jusqu’au nord de la Creuse, première étape de leur voyage. En quittant Genouillat, les maçons passent par Nohant pour atteindre Issoudun et y dormir. Le jour suivant, ils vont jusqu’à Salbris en passant par Vierzon. Le lendemain ce sera l’étape Salbris-Orléans. La dernière partie du voyage (Orléans-Paris) pouvait parfois être effectuée dans des voitures tirées par des chevaux.
● Bien plus tard, s’est posée la question de l’organisation de Régions. En application du décret du 11 décembre 1954 naissent les comités d’expansion économique, embryons des futures régions. La nouvelle structure se nomme CREEP Marche-Limousin, preuve que la réalité marchoise conservait tout son sens. Hélas, dès 1956, la Marche disparaît au profit du seul Limousin [23].
[21] Site du Donzeil : http://le-donzeil.fr/pageshtml/histoirevillage.html
[22] http://webcreations.free.fr/liens.php3?viewCat=2
[23] Sur un plan plus anecdotique, une Miss Marche-Limousin est élue tous les ans mais, hélas encore une fois, lors
du passage télévisé lors de la cérémonie de Miss France, seul le Limousin apparaît sur son écharpe
● En 1896, dans le journal catholique La croix de Limoges, un maçon creusois publieses souvenirs. Il explique les raisons de la migration saisonnière et fournit une information particulièrement intéressante. En effet, il y a pour lui la Creuse d’un côtéet le Limousin de l’autre : « le sol de la Creuse est pauvre, la terre y est morcelée. Ce n’est pas comme en Limousin où l’on rencontre des propriétés considérables avec de nombreux domaines [24]».
● L’historien Alain Corbin a été agrégé d'Histoire-Géographie au lycée de Limogesavant d'occuper une chaire à l'université de Tours puis à l'université de Paris-I.
Il s’est plongé dans la liste de conscription de 1848 des départements formantl’actuel Limousin [25]. On constate que les cultivateurs à leur compte (agriculteurs, laboureurs) représentent 75,8% des conscrits corréziens, 46,4% de ceux de la Haute Vienne et seulement 20,9% des creusois. Par contre, le plus grand nombred’ouvriers les plus précaires, les journaliers, est recensé en Creuse. Il en va de même pour les ouvriers migrants (57,2% des conscrits creusois) soit onze fois plus qu’en Corrèze et quatre fois plus qu’en Haute Vienne (l’historien ne distingue pas laHaute Vienne marchoise de la Haute Vienne limousine).
Avec le recensement de 1851, A. Corbin met en évidence que la Creuse compte leplus faible nombre de rentiers (1,3%), de fonctionnaires (1,3%), de militaires (0,2%), d’étudiants (0,3%), de métayers (3,7% soit 5 fois moins que la Corrèze et 7 foismoins que la Haute Vienne). Par contre, la Creuse compte deux fois plus d’ouvriers agricoles que les deux autres départements (6,1%), douze fois plus d’ouvriers (maçons, commerce, etc...) que la Corrèze et trois fois plus que la Haute Vienne.
La Creuse, issue en grande partie de la Haute-Marche, différait des départementslimousins de part sa composition sociale où les classes les plus prolétaires prédominaient.● Pour Olivier Belabanian, professeur de géographie à l'université de Limoges, « laBasse Marche est donc un pays de transition largement ouvert aux influences desrégions voisines comme la Brenne [située plus aunord dans le département de l'Indre, en régionCentre-NDLA] et le Montmorillonnais [départementde la Vienne, dans le Poitou - NDLA] ».
La Haute Vienne est composée de troisarrondissements, celui de Limoges au sud, celuide Rochechouart à l’ouest, et celui de Bellac aunord qui correspond globalement au tracé del’ancienne Basse Marche. Evoquant les bocagesde cette partie ouest de la Marche, O. Belabanianécrit que « cette région qui commence au nord desmonts de Blond et d’Ambazac, possède un reliefbien plus calme que toutes les autres régionslimousines. C’est là que s’arrête la langue d’oïl ; ausud des monts de Blond et d’Ambazac commencent les parlers de langue d’oc ». Il souligne cette « frontière linguistique essentielle : celle des langues d’oc et d’oïl.
C’est aussi une frontière humaine majeure qui traverse le territoire limousin ».
● Le cours des rivières présentes dans la Marche est orienté vers le nord-ouest. Misà part une portion de l’extrême sud de la Creuse qui relève du bassin de la Garonne, tout le reste du département appartient à celui de la Loire.- La Creuse est une rivière qui traverse le département du même nom et qui va ensuite longer les départements de la Vienne et de l'Indre-et-Loire avant de se jeter dans la Vienne. En Touraine, on observe au sud-ouest de l'Indre-et-Loire, une régionqui s’appelle la Creuse tourangelle du nom de cette rivière et l'autre rive du côté de laVienne s’appelle la Creuse poitevine.
[24] Le Solitaire, Souvenirs d’un maçon de la Creuse, La croix de Limoges, 1896
[25] Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, PULIM, 2000
- La Gartempe devient un affluent de la Creuse dans le département de la Vienne.
- Le Cher, qui naît lui aussi en Creuse, est le deuxième plus grand affluent de la Loireaprès l'Allier et il arrose Vierzon et Tours.● Les Monts de la Marche comprennent plusieurs massifs qui se répartissent aujourd’hui entre la Creuse et la HauteVienne et les bords de l’Indre, del’Allier, du Cher et de la Charente.
Cette frontière naturelle assure aunord la transition entre le BassinParisien et le Massif Central et la limiteentre la langue d’oïl et le marchois. Ausud-est, elle délimite cette fois l’aired’influence de la langue d’oc : les rochers de Puychaud (Monts deBlond) à plus de trente kilomètres aunord de Limoges, symbolisent cette limite définie par la figureemblématique du renouveau occitan, Frédéric Mistral. Une plaque posée en1930 lors du centenaire de sanaissance rappelle cette « frontière »entre l’occitan limousin et le marchois et, plus au nord, les langues d’oïl.
● Même l’élevage met en évidence la spécificité marchoise. La race bovine marchoise possède une origine commune avec la race Parthenaise et elle estrattachée au type Vendéen. Philippe Grandcoing, professeur agrégé d’Histoire en classes préparatoires au lycée Gay-Lussac à Limoges et spécialiste de l’histoire dela société limousine du XIXe et XXe siècle, relève une « coïncidence troublante, la marchoise est une variété de la race vendéenne, brachycéphale [26] (comme lacharolaise), alors que la limousine, dolichocéphale, se rattache à la raced’Aquitaine ». En ce qui concerne les ovins, le site internet de La Creuse rurale et agricole explique que les moutons marchois étaient noirs et blancs : « la racemarchoise était ainsi. C'était la race historique du plateau. Elle a été absorbée par la race limousine. Les traces noires que l'on voit ça et là sur les robes des moutonslimousins témoignent de cette ascendance [27]».
En 1643, le géographe Pierre d’Avity écrit dans sa Description générale de l’Europe que « chaque ville de la Marche a son trafic particulier et, comme la Haute Marche,abonde en bétail gros et menu qui se débite à Paris et autres villes de France ». Le géographe signale les relations commerciales établies avec des marchands dePicardie, de Touraine, du Berry et de la région de Blois qui viennent dans la Marche acheter des moutons. Amédée Carriat mentionne l’intendant de Moulins qui, en1686, cite les foires de la Marche dont celle d’Auzances « où se vendent quantité de boeufs et de cochons gras qui se conduisent à Paris [28]».
[26] brachycéphale = crâne court, dolichocéphale = crâne allongé
[27] http://www.creuse-agricole.com/actualites/ovins-mouton-feniers-defend-la-limousine&fldSearch=:293PL2UA.html
[28] Amédée Carriat, Dictionnaire bio-bibliographique des auteurs creusois et des écrits le concernant des origines à nos jours, Fascicule 2, p. 119, 1976